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Immunité de saisie des banques : Les députés dénoncent une violation de la constitution

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Un décret signé le 27 novembre  fait sortir les députés de leurs gonds. Ce texte réglementaire interdit de procéder  à toutes saisies et attributions des avoirs des établissements de crédits et des organismes de financement internationaux figurant dans les livres de la Banque centrale.

 

En votre qualité de garde de Sceaux, quel est le fondement juridique de ce décret qui viole les dispositions constitutionnelles et légales en Union des Comores ? » Voici une des questions adressées au ministre de la Justice par le député Rachadi Mohamed, lors la traditionnelle séance de questions au gouvernement, au sujet du décret n°15-177 du 27 novembre 2015, qui modifie et complète certaines dispositions portant sur les saisies et attributions.

Ce décret modifie les dispositions du nouveau code de procédure civile ; un acte qui relève, selon l’élu,  des compétences du législateur «conformément  à l’article 31 de la Constitution.» Selon le service des affaires juridiques de l’Assemblée nationale, « le principe élémentaire qui exige qu’un texte en vigueur soit abrogé par, au moins, un texte de même nature souffre d’application. Par un simple décret, on créé des normes législatives modifiant les lois existantes.»

 «Le rubicond est franchi, tempête  le député Rachadi dans une lettre adressée le 12 décembre au ministre de la Justice, par ce fameux décret anticonstitutionnel qui viole l’article 31 de la constitution.»  Le ministre est ainsi invité à demander au chef de l’Etat  d’annuler ledit décret avant que «le législateur ne fasse son travail qui consiste à l’abroger par une loi.»

Le premier article de ce décret dispose «qu’il ne peut être procédé à des saisies et attributions des avoirs des établissements de crédits et des organismes de financement internationaux figurant dans les livres de la Banque centrale». Il stipule «qu’en application des articles 51 et 52 de l’acte uniforme de l’Ohada (l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des affaires, Ndlr), portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution et de l’article 974 alinéas 1er du nouveau code de procédure civile, il ne peut être procédé à des saisies et attributions des avoirs des établissements de crédits et des organismes de financement internationaux figurant dans les livres de la Banque centrale.» Ce décret abroge toutes dispositions antérieures en la matière.

Il faut dire que le texte constitue un passage en force du gouvernement, après le retrait, in extremis, le mois de septembre dernier, de la proposition de loi «créant un privilège général pour garantir les créances des banques en Union des Comores», portée par  le député Abdallah Mohamed Moussa, de la commission des Affaires étrangères.

Un climat pas tout à fait cordial prédomine dans les rapports qu’entretiennent les institutions judicaires et bancaires du pays, au sujet du recouvrement des créances. En début d’année, l’Association professionnelle des banques et établissements financiers s’était émue auprès des autorités nationales par rapport à l’environnement «malsain» qui existe entre les banques et la justice. Plusieurs affaires opposant banques et entreprises privées ont ou continuent de défrayer la chronique. C’est le cas des affaires Bic-Nicom, Sotram-Bdc, Exim-Bank aux établissements Mouhcine limited Sarl ou encore celle opposant l’entreprise Sedaco à la Bfc.

Pour venir à bout de ces conflits ouverts, les ministres des Finances et de la Justice, les établissements de crédit, la Banque centrale se sont retrouvés à  deux reprises sous la houlette du président Ikililou pour émettre des propositions de nature à «favoriser le financement bancaire et améliorer le fonctionnement efficient de la justice». Ce cadre de dialogue devait accoucher d’un plan d’action, notamment d’un projet de loi portant protection des dépôts de la clientèle.

Force est de rappeler que depuis le mois de janvier dernier, le taux de réserves obligatoires des institutions financières qui reçoivent des fonds du public est fixé à 15% de l’assiette retenue pour le calcul des réserves.  «L’objectif du montant de réserves obligatoires est de protéger les épargnes des clients des banques», explique, en septembre dernier,  la direction de la supervision bancaire de la Bcc. Les dépôts des huit principaux établissements de crédit sont passés de 34, 237 milliards de fc en 2012 à 34, 665 milliards de fc en 2013, soit une hausse de 1,2 %.

Kamardine Soulé

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Trois questions à... 

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Fahmi said Ibrahim, juriste et député d’Itsandra-Sud, avait réagi le 7 décembre dernier à propos dudécret n°15-177 

 

Pourquoi soutenez-vous que ce décret est illégal ?

il y a en mon sens un double danger. D’abord au niveau de l’environnement des affaires. Octroyer une immunité d’exécution à des entreprises privées, notamment des banques, une institution financière, risque de déséquilibrer le rapport de force dans une activité économique. Cela voudrait dire que quelle que soit la faute qui pourrait être commise par une institution financière, elle sera à l’abri d’une saisie. Donc, je ne suis pas certain que cela soit une très bonne chose. Maintenant, il se pose une question de forme, qui est non moins délicate: comment un décret présidentiel, donc un acte réglementaire, peut modifier un traité de l’Ohada. Ce n’est même pas une loi. L’Ohada est un traité qui s’applique à tous les Etats signataires. Ce qui risque d’être un message négatif très fort.

Selon les auteurs de cette demarche, il s’agit de protéger les clients...

Une banque a toujours des dépôts de réserve pour sécuriser les avoirs. Mais aucune banque au monde n’est à l’abri d’un dépôt de bilan. C’est le mécanisme normal d’une activité économique. Aucune société, privée ou publique, n’est à l’abri d’une cessation ou d’une faillite. C’est la règle du jeu. Bien sûr, il y a des ratios prévisionnels, des ratios de prudence, appliqués pour justement sécuriser ces transactions. Ce qui est grave aussi, ce que si un banquier est peu scrupuleux, il se verrait aussi octroyer cette bénéfice d’exécution. Et faire n’importe quoi, puisque de toute façon, il est à l’abri de toute poursuite. Là nous risquons de biaiser la règle du jeu dans une économie de marché.

 Quelles conséquences pour les entreprises ?

Les opérateurs économiques n’ont qu’à bien se tenir. Ils ne pourront plus faire de procès aux banquiers. Certes, il faut, il est vrai, faire en sorte qu’il n’y ait pas de condamnation abusive contre les banquiers. Puisque la crainte vient de là. Nous avons vu des précédents où des banquiers ont été abusivement condamnés. C’est le cas de la Bic qui avait fait l’objet d’une condamnation de 4 milliards de francs.

Ce qui était excessivement exagéré. Et c’est vrai que le juge qui avait rendu la décision n’avait pas mesuré la portée antiéconomique de cette décision. Et c’était pour moi une décision nocive. Mais maintenant, il appartient à la société de s’autoréguler. Il y a eu un magistrat qui a été incapable de comprendre qu’on ne peut multiplier par cent ou par mille un préjudice, supposé ou réellement subi.

Il ne faut pas non plus que la justice soit utilisée pour enrichir une entreprise privée au détriment d’une banque. Mais, il ne faut non plus accorder plus de sécurité à une banque pour qu’elle ne soit pas condamnée, s’il y avait lieu d’être condamnée. La solution la plus appropriée, c’est de former des magistrats. Et surtout faire en sorte qu’ils rendent des décisions plus équitables et non désintéressées.

Propos recueillis par ks