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Mouzawar Abdallah : «Mes amis politiques m’ont dupé et trahi»

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EXCLUSIVITE. Mouzawar Abdallah est loin d’être un inconnu dans le marigot politique des Comores. Il en fut même l’un des brillants acteurs. Après avoir observé un long silence, il a accepté de répondre à nos questions. L’ancien ministre des Affaires étrangères du régime d’Ali Soilih se montre ces derniers temps très actif dans la défense de la mémoire et de l’œuvre de Mongozi.

 

On ne vous entend plus depuis votre départ de la Cour Constitutionnelle. Avez-vous déjà pris votre retraite politique ? Pourquoi vous êtes-vous imposé ce silence ?

C’est depuis que j’ai quitté mes responsabilités politiques, puisqu’à la Cour constitutionnelle, j’ai été tenu par le devoir de réserve. Donc, je ne pouvais pas m’exprimer devant la presse. Aujourd’hui, 40 ans après, période durant laquelle a duré le deuil d’Ali Soilihi, je trouve qu’il est temps de rompre le silence. Au cours de ces quarante ans, j’ai effectué un laps de temps très court avec Djohar, en tant que conseiller aux affaires économiques à la présidence, lui en tant que frère d’Ali Soilihi. Puis un an en tant que ministre de l’Education nationale, avec Taki.

 

La Cour constitutionnelle a souvent été l’objet de sévères critiques, surtout en période électorale. Reconnaissez-vous, avec le recul, que l’institution n’est pas aussi indépendante du pouvoir politique qu’on l’aurait souhaité?

L’expérience que j’ai de la Cour Constitutionnelle, c’est que les positions finales de cette juridiction reposent sur le droit. Il ne peut pas y avoir de positions individuelles ou politiques qui transcendent le droit. A mon passage à la tête de cette haute juridiction, j’ai eu l’occasion de faire l’objet de pressions. Mais, sous le régime Azali, j’ai refusé la nomination de son représentant à la commission électorale car elle n’a pas été faite dans le respect des règles de droit. Et Azali a procédé à la nomination d’une autre personne. Sous Sambi, les proches du pouvoir m’ont demandé de jouer ma carte de président de la Cour pour faire passer le candidat du pouvoir au deuxième tour. J’ai refusé ; je n’ai pas voulu jouer le jeu. Après cette histoire, une délégation iranienne est venue me voir pour la prolongation du mandat de Sambi. Je leur ai donné comme réponse que je ne suis pas habilité à prolonger des mandats, seul un référendum populaire, demandé par le chef de l’Etat ou de l’Assemblée nationale, peut décider une révision de la constitution.

 

Parlons d’Ali Soilihi dont vous étiez le ministre des Affaires étrangères. Certains lui reprochent notamment d’être celui qui a ouvert le chapitre noir des coups d’Etat aux Comores. Franchement, y avait-il besoin de faire un coup d’Etat un mois et demi seulement après l’indépendance ?

Les gens apportent un jugement sur l’acte du coup d’Etat. Mais, les éléments qui ont conduit à ce coup d’Etat n’ont jamais été abordés. La réflexion a été faite au Front national uni (Fnu), dont le leader était Ali Soilihi. Immédiatement après le référendum sur l’autodétermination, alors que j’étais président de la chambre des députés, Ali Soilihi m’a contacté pour me demander d’organiser une rencontre entre les différents partis politiques. Pour Ali Soilihi, cette démarche consistait à permettre au pays d’accéder à l’indépendance en ordre uni, à trouver un compris entre les différents partis politiques et à avoir une vision commune quant aux destinées du futur des Comores, particulièrement sur le plan constitutionnel. Pour Ahmed Abdallah, il ne fallait pas qu’il y ait un pouvoir intermédiaire et pour cela, il fallait éliminer les Mahorais des négociations. J’ai considéré que j’étais désavoué par Ahmed Abdallah, j’ai démissionné de l’assemblée. J’ai écris au parlement français pour leur demander d’imposer un comité constitutionnel qui serait composé du gouvernement Abdallah, de la chambre des députés et des partis politiques, Ahmed Abdallah a refusé cette formule. C’est de là qu’Ali Soilihi a compris qu’il n’avait pas d’autre voie de recours que le coup d’Etat.

 

On dit que Mongozi a été d’abord manipulé par des réseaux français avant d’adopter cette posture anti-française et de tenir ces discours particulièrement critiques contre Bilmapuzi, entendez le colon. Comment analysez-vous ce double discours d’Ali Soilihi?

Ali Soilihi n’a jamais cessé d’avoir des rapports avec les Français, par l’intermédiaire du Sénégal, qui avait une ambassade à Moroni et par l’intermédiaire d’un Français du nom d’Auguste, directeur du service de l’agriculture à Moroni, son ami personnel. En tant que ministre des Affaires étrangères, j’ai eu à le constater. Il m’a dit clairement que les Français devaient revenir. Il a eu une position tactique et un langage politique ; ce qui lui a permis d’obtenir la caution de l’Afrique, surtout dans la région, comme le Kenya, le président Nyerere de la Tanzanie et le président de Madagascar, Didier Ratsiraka, qui sont des nationalistes convaincus.

 

Comment pouvez-vous travailler pour le retour d’un régime comme celui d’Ali Soilihi, un régime qualifié de brutal, qui embastillait ses opposants et qui ne tolérait pas la moindre contradiction, entre autres ?

Certes, il y a eu des erreurs, mais la réalité est que pendant le peu de temps qu’il a gardé le pouvoir, le changement était réel dans le pays, les avancées économiques étaient significatives. Dans mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, je sais quels sont les pays qui ont passé des accords de coopération diplomatique, politique et économique avec les Comores, il y en a beaucoup. Je peux vous assurer que tous nos actes d’adhésion aux différentes institutions financières internationales ont été signés sous le régime d’Ali Soilihi.

 

Avec la fin des idéologies, la révolution soilihiste a-t-elle encore un sens ?

Son choix de doctrine reposait sur le progrès et l’engagement ; les responsables politiques doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas progresser dans le vide. Il faut qu’ils se réunissent et qu’ils opèrent des choix concrets sur l’avenir du pays. La situation des Comores aujourd’hui est catastrophique, il y a un drame économique réel dans le pays. On va rester dans cet esprit là jusqu’à quand? Il faut restaurer la confiance.

 

Racontez-vous comment avez-vous appris la mort d’Ali Soilih ?

J’ai vécu la mort d’Ali Soilihi comme tout musulman, comme tout Comorien qui perd un être cher, tout ce que je pouvais lui donner, c’est de rester fidèle à sa mémoire et d’observer le deuil. A sa mort je ne pouvais pas oublier l’estime qu’il avait pour moi ; il tenait à m’associer dans ses rencontres importantes avec les personnalités, partis ou groupements politiques, alors que je ne faisais pas partie de son clan. Il avait une estime réelle de ma personne, ce qui m’a amené à respecter et à observer un deuil et à me retirer de la vie politique dans toute cette période de 40 ans. Maintenant, j’estime que les temps ont changé, la vision du pouvoir d’Ali Soilihi a été modifiée dans les esprits des Comoriens et c’est le moment de faire le bilan et je suis prêt à porter ma part de contribution.

 

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Si l’on vous demandait de définir ce qu’est le Soilihisme, que diriez-vous ?

Le soilihisme est un choix politique qui n’a pas de référence idéologique car, il disait qu’il évoluait dans une idéologie neutraliste positive. Pour lui, cette idéologie neutraliste positive lui donnait la possibilité d’opérer un choix pour ou contre le socialisme, ou pour ou contre le capitalisme et d’insérer sa propre doctrine dans le choix des différentes idéologies qui avaient cours dans le pays. Il se donnait la possibilité de faire un choix, c’est pourquoi il disait qu’il était neutre, et opérait des choix que je considère positifs.

 

Vous avez été le ministre des Affaires étrangères d’Ali Soilihi. Que pensez-vous des orientations actuelles de la diplomatie comorienne, notamment sur la question de Mayotte ?

(Rires). Est-ce qu’il y a des orientations diplomatiques ? Il faut se demander quel est l’avenir diplomatique des Comores avec la France ? Les Français ont une présence réelle aux Comores, tout ce qui se passe actuellement relève des divergences épidermiques. Vous savez, rien ne m’échappe dans la complexité de la question de Mayotte. A l’heure actuelle, la question est devenue très difficile car les problèmes qui se posaient en 1975 ne sont plus les mêmes en 2015, les intérêts sont devenus pratiquement divergents. Des problèmes purement de survie surgissent. Le Mahorais reconnait qu’il est Comorien. Dans les autres îles, il y a tellement de problèmes qui interfèrent dans le débat politique et qui compliquent la question.

 

Quarante ans après l’indépendance, certains pensent que les Comores marchent à reculons. Avez-vous la même impression ?

40 ans près l’indépendance, les Comores n’ont pas encore trouvé la voie pour assurer leur véritable développement, mais avancer à reculons, non. Il a des intellectuels, il y a des cadres qui sont formés, le corps médical qui est constitué. Si vous allez à l’hôpital et vous n’avez pas de nivaquine, ce n’est pas la faute aux médecins. C’est la faute à la gestion financière du pays.

 

Avec le recul, reconnaissez-vous avoir commis, dans votre parcours politique, des erreurs ? Si oui lesquelles, par exemple ?

Je ne peux pas dire que j’ai commis des erreurs politiques, car mes choix politiques ont été faits en plein accord avec mes partenaires. Je dirais que j’étais dupé, j’ai des gens sur qui je faisais confiance, ils ne méritaient pas la confiance que je leur faisais. J’ai desservi mes propres intérêts au profit de mon parti.

 

Propos recueillis par Mariata Moussa