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Débat : Ali Swalihi Mtsashiwa, pile et face

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DEBAT. Si les uns décrivent le «Mongozi» sous les traits d’un dictateur qui brutalisait les citoyens et s’en prenait aux libertés individuelles et collectives, d’autres le considèrent comme un visionnaire, «le seul» chef d’Etat depuis l’indépendance à disposer d’un projet de société». Histoire de mieux comprendre cette personnalité qui trente sept ans après son arrivée au pouvoir en 1975, ne laisse indifférent aucun des près de ses 800.000 compatriotes, deux intellectuels comoriens ont accepté de croiser le fer sous l’arbitrage de notre reporter Mariata Moussa.

 

Al-watwan. Selon vous, l’ancien président Ali Soilihi mérite-t-il ce culte dont il fait objet chez une certaine frange de la population? Pourquoi?

 

Mohamed Mzé : Je crois qu’il mérite d’être honoré par la population, car c’est la seule personne à avoir pensé au bien-être de la population. C’était un homme qui avait sa façon de faire, qui savait lier la théorie et la pratique. A son époque, il n’y avait pas de discours vide ; tous les discours avaient une signification et étaient suivis d’actions concrètes. Il l’a même souligné dans ses discours qu’un guide bien intentionné meurt, la population acclame et danse, car elle doit avoir connu quelque souffrance, étant donné qu’à chaque fois qu’on procède à un changement, quelques difficultés sont constatées. Mais six mois après l’enterrement du guide, la population commencera à commémorer la vie de cet homme. Je me rappelle quand mon équipe et moi travaillions dans les buissons pour parler de la politique, de la philosophie et de la vie d’Ali Soilihi, aujourd’hui, nous osons parler de lui en public, acclamés par la foule.

Aboubakari Boina : Personnellement, je ne qualifierai pas cela de culte, mais plutôt de mémoire du feu président Ali Soilihi. Je peux me tromper, mais je suis intimement convaincu que ce sont les successeurs d’Ali Soilihi, qui l’ont rendu fort car, ils n’ont pas réussi à faire mieux que lui. Dans un aspect général, je dirai qu’Ali Soilihi était un homme d’Etat qui voulait améliorer l’avenir des Comoriens de son époque et ceux des générations à venir. Cependant, on peut lui reprocher beaucoup de choses, notamment, le coup d’Etat de 1975, son rapprochement vers les mercenaires et la forte répression sous son règne, mais globalement, j’estime que le bilan est positif.

 

Al-watwan. Que pensez-vous de ceux qui estiment qu’en fomentant le coup d’Etat du 2 août 1975, Ali Soilihi a plongé le pays dans un cycle d’instabilité et favorisé l’installation des mercenaires aux Comores ?

M.M : Les gens n’ont pas compris ce que c’est l’indépendance ; d’abord, c’est la liberté d’un pays de prendre en charge son destin. Le destin d’un pays repose sur la capacité de nourrir sa population, d’enseigner ses enfants, de soigner ses malades et de protéger le pays contre les agressions extérieures. Voilà ce que c’est un pays indépendant. Ali Soilihi a compris qu’avec le système «Milanatsi-ugangi» et la lourdeur de la coutume, aucun gouvernement ne serait en mesure de donner à la population ce dont elle a besoin, alors il a rapidement fait ce coup d’Etat.

Son objectif consistait à mettre fin à ce système rétrograde et arriéré, selon lequel gouverner, c’est occuper de hautes fonctions, construire des maisons individuelles et acheter de grosses voitures. Il avait une politique nationaliste et un programme patriotique ; il avait compris que les hommes politiques qui avaient, en 1975, déclaré l’indépendance n’avaient pas la capacité d’agir pour le bien de la population. Le coup d’Etat du 3 août est justifié et  là maintenant, tout le monde comprend. Cet événement n’a en rien contribué à ce que s’installe l’instabilité et des leaders maorais avaient déjà leur visée séparatiste.

A.B : J’ai fait une thèse sur «la pensée politique des comoriens et du soilihisme», je cite en mémoire le journal La Croix [un quotidien français]du 5 aout 1975 qui a écrit : «Ce coup d’Etat vient à point nommé pour régler l’épineux problème de Mayotte». Autrement dit, il faut comprendre que les séparatistes mahorais avaient décidé de ne pas se reconnaitre dans l’indépendance des Comores, pas plus dans le coup d’Etat d’Ali Soilihi. Donc, la question de Mayotte est devenue très complexe. Au sujet des différents coups d’Etat qui ont suivi, Ali Soilihi n’est pas responsable, mais il est celui qui a frayé le chemin.

 

Al-watwan. Ali Soilihi est souvent présenté soit comme un anti-français primaire, soit comme un supplétif de la puissance coloniale. Selon vous, quelle image lui convient le plus?

 

M.M : Ce n’est pas vrai, Ali n’était pas un anti-français, il était contre la domination. La preuve, il a travaillé avec Yves Lebret, Hervé Chagnoux, le Comte Castant et beaucoup d’autres français. Il n’était ni un anti français, ni un factotum de la France. Il était un homme de synthèse, ami des bons Français et opposé aux mauvais.

A.B : Il ne serait pas scientifique de classer Ali Soilihi dans un camp par rapport à un autre. Il faut plutôt le voir dans son histoire. Il est évident qu’avant de prendre le pouvoir, Ali Soilihi avait ses relations avec les Français et il est certain que pendant son règne, il a essayé de maintenir ses contacts. D’ailleurs, son ministre des Affaires étrangères, Mouzawar Abdallah, l’a clairement confirmé. Mais étant chef d’Etat, défenseur de l’intégrité et de la souveraineté nationale, Ali Soilihi a eu dans ses discours et ses pratiques des positions que la France n’avait pas appréciées. Je pense qu’à ce sujet, il faut analyser au cas par cas, mais pas d’une manière globale. A mon avis, ce sont des circonstances qui l’ont poussé à agir dans unnsens ou dans un autre.

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Al-watwan. Ali Soilihi a souvent été qualifié de «mécréant». Que pensez-vous de ses rapports avec la religion?

M.M : Un mécréant qui a mis en place l’école coranique et payait ses enseignants. Un mécréant qui a obligé l’enseignement de l’arabe de la Maternelle au Cours moyen car c’est la langue du Coran, un mécréant qui a interdit l’importation de l’alcool et qui a pris comme jour de fête le vendredi pour mieux préparer la prière et le dimanche une journée ouvrable. Voila un mécréant qui allait à la mosquée, etc. En fait, certains l’ont qualifié ainsi parce qu’il a interdit la sorcellerie et les confréries où l’on adorait les hommes au lieu d’adorer Dieu.

Il a dit dans ses discours qu’ici, aux Comores, tout le monde est musulman et si l’on veut faire le prêche, il faut aller dans les contrées étrangères où il n’y avait pas de Musulmans. Ce qu’il nous faut, c’est la foi en Dieu et cela manque jusqu’aujourd’hui. Ali Soilih était un rénovateur de la religion.

A.B : Sur cet aspect, je crois qu’on abuse de l’expérience soilihiste par rapport à la religion. A ma connaissance, Ali Soilihi n’était pas un mécréant. Je crois qu’il était un Musulman sincère qui a voulu moderniser ou reformer l’islam pratiqué aux Comores en voulant faire la différence entre l’islam attaché au féodalisme et un certain «islam révolutionnaire». Dans un de ses discours, il a lui-même déclaré qu’il n’y avait pas de différence entre un vrai révolutionnaire et un vrai musulman, pour dire qu’il était en harmonie avec l’islam. C’est également lui qui a introduit la reforme de l’école coranique. En faisant la promotion de l’arabe, il a responsabilisé de grands ulémas, notamment le grand soufi Mouigni Baraka, qui était porte-parole de la diplomatie comorienne, il a fait du vendredi un jour férié. Il y a des faits qui démontrent qu’Ali Soilihi rimait avec l’islam. Mais du fait qu’il a exigé de ne pas trainer à la mosquée après la prière et peut-être d’autres discours plus ou moins incompris, il a été taxé de mécréant. A tort, à mon sens.

 

Al-watwan. Le modèle économique d’Ali Soilihi était-il viable ?

M.M : Il l’était parce que tout le monde travaillait pour gagner sa vie. Il y avait les champs populaires dans chaque village, il y avait les Mudriya qui se chargeaient d’acheter les produits. L’ostentation qui dévore les petites économies possédées par les Comoriens a été supprimée, c’était vraiment le modèle : ni marxisme, ni islamisme, ni capitalisme, mais un modèle comorien puisé dans la théorie marxiste. L’importation et l’exportation étaient assurées par l’Etat sans pour autant enlever la liberté aux citoyens de vendre, mais à des prix supportables par la population.      

A.B : C’était un modèle mis en place en fonction de l’époque. Les réalités comoriennes de 1975, ne sont pas les mêmes quarante ans après.

 

 

Propos recueillis par MM