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Echéances de 2016. A propos de «Tournante» : Entre «lettre» et «esprit», la politique et la règle...

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Un inventaire est-il souhaitable? Possible? Le Nouvel ensemble comorien (Nec) né des Accords de Fomboni a-t-il été un bon outil de développement ? Avec la «Tournate», les Comoriens ont-ils fait le choix de l'unité nationale aux dépens de la démocratie? Pour donner le maximum d'informations sur ces questions auxquelles s’interrogent tous les Comoriens, Al-watwan ouvre le débat sur, exceptionnellement, trois pages.

(Légende : Yahaya Mohamed Ilyas (YMI), Idriss Mohamed Chanfi (IMC), Hamidou Saïd Ali, (HSA) et Aicham Itibar (AI).

 

 

Al-watwan : (Pour certains) La tournante entre les îles des élections présidentielles est la formule magique sortie des débats de la Constituante pour donner satisfaction à la revendication des séparatistes. Pensez-vous qu’elle a répondu aux attentes ?

 

IMC : Analysons d’abord deux aspects : la façon dont la tournante a été créée et sa mise en application.  Ces deux aspects, quoique liés, peuvent être analysés séparément. En ce qui me concerne, je reste convaincu que personne ne peut aujourd’hui dire que le pays a enregistré des avancées par rapport à la situation d’avant 2002.

Face à telle situation, nous pouvons nous demander aujourd’hui si la loi fondamentale qui régissait le pays avant 2001 a constitué un frein à son développement ou si ceux qui l’ont dirigé ont mal géré, ou bien les deux en même temps. Je suis de ceux qui pensent que, vu l’état dans lequel se trouve notre pays aujourd’hui, nous ne pouvons pas avancer sans poser un regard rétrospectif sur notre parcours et faire le bilan pour trouver une solution aux maux qui le frappent. (…)

 

YMI : Je formule la question autrement pour parler des raisons ayant conduit à la création de la tournante. Aurait-elle été crée pour résoudre les problèmes du quotidien des Comoriens ou pour d’autres motivations? A mon avis, la tournante a été créée pour répondre à des questions politiques, même si la crise était aussi économique. La possibilité de nous retrouver était donc là. (…). Maintenant, il faut se demander si la tournante a répondu à ses objectifs et si les Comoriens se sont vraiment retrouvés. On peut donc débattre et voir s’il faut la corriger ou carrément la supprimer ? En tout cas, si, comme le soutient M. Idriss, la crise économique date d’avant la tournante, ainsi que la gabegie, etc., Il faut quand même se convenir que la tournante a répondu à certaines attentes, notamment la stabilité institutionnelle.

 

HAS : (…) Je rejette l’assertion selon laquelle c’est une crise politique qui a été à l’origine de la tournante. Il s’agissait plutôt d’une question identitaire. La question de l’identité comorienne mérite d’être posée en tenant compte, bien sûr, de nos us et coutumes. La question s’est déjà posée bien avant à Mayotte, dans des régions de Ngazidja et de Mwali en 1991. Il n’est un secret pour personne que les habitants des quatre îles s’identifient d’abord par rapport à leur île d’origine. Le problème de la nation comorienne doit être posé.

(…) Il a été dit que la tournante a été mise en place pour construire le pays en tenant compte des ses réalités et pour cela, nous avions le choix entre la démocratie et l’unité nationale. C’est clair, la tournante a mis de côté la démocratie pour préserver l’unité nationale. Certains acquis positifs sont enregistrés, notamment l’unité du pays et sa stabilité institutionnelle. Maintenant, nous avons le choix entre modifier la tournante pour imposer la démocratie ou préserver la tournante pour consolider l’unité nationale.

 

AI : Vous avez touché un point important, la question de l’identité. Tel qu’il a été rédigé, l’Accord de Fomboni ne faisait que retranscrire une volonté politique et non cette idée d’identité. Maintenant, est-ce que la tournante a réussi son pari? Sans équivoque, je dis non. Je vois les choses en tant que Comorien de la génération post-indépendance et l’image qu’on a aujourd’hui de l’Union des Comores. Je me souviens qu’en 1997, beaucoup avaient dénoncé le fait de parler des Wangazidja, wa Mwali, des wa Ndzuwani ou de Wamaore. Des identités en dessous de la Nation et de l’Etat.

Les réalités géographiques et culturelles ne nous ont jamais empêchés d’exister comme une Nation. En 1975 les fondateurs de notre République se sont opposés à  la l’utilisation du terme «populations» en lieu et place de «population comorienne» au singulier. (…). Tous les pays du monde ont des identités infra-étatiques mais au-delà, il y a la Nation.

La tournante a été une réponse rapide pour dire que le pouvoir sera transféré d’une île à une autre. Au lieu de sauver cet esprit d’unité nationale, d’une seule et unique population, nous lui avons conféré une légitimité, voire une légalité. Ce qui fait que des Comoriens comme moi qui ont un père grand-comorien et une mère anjouanaise ne savent pas d’où ils viennent.

 

IMC. Je voudrais porter quelques précisons sur la question de l’identité. Existe-t-il une identité comorienne? Je dis oui car nous le constatons sur le plan culturel, sur la langue, etc. C’est parmi les raisons qui confirment que Mayotte est comorienne. Le Mahorais porte le boubou, fait la prière et le mariage. Bien que Mayotte ait été arrachée de l’autre partie du pays voilà quarante ans, l’île est restée comorienne. C’est une preuve de l’existence d’une identité comorienne.

(…) Mais parmi les méfaits de la tournante c’est qu’elle vient anéantir cette identité. Pour preuve, les formations politiques nationales ont disparu. Pour être élu, je dois évaluer mes chances par rapport à ce que je représente dans mon île d’origine. Je pense que ce serait mieux aujourd’hui de mettre en place un collège présidentiel pour éviter qu’un individu s’approprie le pouvoir. M. Ilyas, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu’on ne peut pas prétendre chercher une solution à une crise politique en négligeant un aspect aussi crucial que le quotidien de la population.

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Al-watwan : La présidence tournante et les autonomies accordées aux îles avaient surtout pour but essentiel de créer les conditions du retour de Mayotte dans le Nouvel ensemble comorien. Quel bilan faites-vous de la gestion de cette question depuis la mise en place de ce Nec?

 

HSA. Je voudrais, à ce propos, rectifier la version selon laquelle le transfert de la capitale des Comores à Moroni a été à l’origine de l’éloignement de Mayotte. Ce raisonnement ne tient pas. Je voudrais aussi souligner une contradiction relevée dans l’Accord de Fomboni. Si vous regardez de plus près, le premier engagement qui a été pris, c’est la mise en place du Nouvel ensemble comorien pour permettre le retour de Mayotte. Aussi, le dernier chapitre qui évoquait l’élaboration de la Constitution, qui devait tenir compte de la mise en place du fédéralisme comorien, c’est-à-dire le partage des pouvoirs entre les îles.

Je pense qu’il s’agit là d’un nouveau concept, de nouveaux termes dont il faudrait aussi tenir compte dans ce débat. La contradiction que nous constatons vient du fait qu’après l’élaboration de la Constitution, dans son dernier chapitre, l’on a exclu Mayotte de la tournante. C’est une contradiction par rapport à ce qui a été consigné dans l’accord.

 

IMC. Les textes fondamentaux du pays sont la Constitution et les lois organiques. La Constitution a introduit des singularités sur Mayotte par rapport aux institutions de l’île de Mayotte sur le plan national et régional. Mayotte n’est pas exclue au niveau des institutions de l’Etat. Je me souviens qu’en 2009, la Cour constitutionnelle a donné raison au Comité Maore qui avait porté plainte pour faire accepter la vice-présidence Maore, mais la décision n’a jamais été appliquée.

La dernière loi organique votée en 2010 qui établissait l’ordre de la tournante a placé Mayotte après Mohéli. Aujourd’hui, la question devrait être posée pour voir si les conditions s’y prêtent ou pas. Et c’est une loi organique qui devrait constater cela. Par ailleurs, Hamidou a raison de dire que ce n’est pas le transfert de la capitale qui a été à l’origine de l’éloignement de Mayotte, c’est une œuvre de la France. Ce n’est un secret pour personne, la France n’a pas signé les Accords de Fomboni même en tant que représentant de l’Union européenne.

 

HSA. M. Idriss a évoqué la loi organique de 2010 qui établissait l’ordre de la tournante, mais j’ai évoqué le dernier titre de la Constitution qui stipule que la participation de Mayotte à la tournante est soumise à des conditions alors que la Constitution est au-dessus de la loi organique. J’insiste pour dire qu’il y a eu contradiction lors de l’élaboration de la Constitution qui intégrait ce chapitre alors qu’on a, après, élaboré une loi organique pour évoquer le tour de Mayotte alors que la constitution ne le permettait pas.

 

Al-watwan : Vous venez de parler de «contradiction». Selon vous était-ce une erreur ou un acte sciemment posé?

 

HSA : Je sais seulement que la révision constitutionnelle de 2009 a entrainé beaucoup de modifications et causé des bouleversements dans le fondement de la tournante et les principes de la Constitution de 2001. Avant 2009, pour les primaires, chaque Comorien pouvait se présenter, mais la révision constitutionnelle de 2009 a mis fin à cela; il a institué trois vice-présidents au lieu de deux. Cela veut dire que si le président est empêché, c’est encore un ressortissant de cette même île, qui va assurer l’intérim alors qu’avant, c’était l’un des deux vice-présidents, qui n’était pas forcément originaire de l’île du président.

 

 

AI. A mon avis, certains Comoriens comprennent mal le problème. Quand on dit un vice-président d’une île, c’est encore une question d’identité. Il ne s’agit pas là de tes origines insulaires. Je vous invite à chercher dans les textes, que ce soit la Constitution, les lois organiques ou même les textes qui organisent l’état civil, vous ne trouverez nulle part où est défini ce que c’est qu’un Mohélien, un Anjouanais ou un Grand-comorien (ou un Maorais).(…). Si on veut définir la provenance d’une personne comme un critère d’éligibilité, il s’agit là de son domicile. C’est l’idée de la décentralisation, de la démocratie locale. (…). C’est-à-dire quand on dit un vice-président de Mohéli, de Ndzuani, de Ngazidja (ou de Maore) et jusqu’à preuve du contraire, il s’agit d’un résident qui vit les difficultés socio-économiques de cette île-là.

 

YMI. J’insiste sur le fait que ce ne sont pas les problèmes économiques qui ont été à la base  de la tournante même s’ils étaient là, présents. Pour preuve depuis qu’on est là, nous n’avons évoqué ni le problème de l’eau, ni celui de la vie chère.

Je rappelle que dans chaque loi, il y a l’esprit et la lettre. Mais, la cible, c’est toujours l’individu.  Sur la question de l’identité, c’est une réalité : un Comorien peut passer des dizaines d’années dans une autre île, mais jamais il ne sentira pas chez lui, dans ce pays qui est pourtant le sien.

C’est dire qu’à chaque fois que nous nous mettons à fabriquer des lois, nous devons tenir compte de la particularité de notre population. Et c’est là où apparait notre défaillance car, si on se penche sur les différents textes élaborés depuis 1975, la plupart n’ont pas intégré cette particularité.

 

Al-watwan : Quel regard portez-vous sur la candidature de l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi?

 

A.I : Ce serait mieux d’observer cette question de façon objective. Je ne pense pas qu’on puisse dire aujourd’hui que sa candidature est complètement interdite ou complètement permise. Du point de vue littéral, rien, absolument rien n’interdit la candidature de Sambi. Il est âgé de plus de 40 ans, est de nationalité comorienne de naissance, il est inscrit dans une liste électorale aux Comores. Ayant été locataire de Beït-salam, il s’efforce aujourd’hui de vivre à Ngazidja et d’y rester et on peut supposer qu’il respectera le critère lié à la résidence. Il n’a jamais été condamné à une peine privative de liberté, etc.

Tous les critères repris par la loi organique sont parfaitement remplis par Sambi. Reste la question relative à l’esprit de la loi. Si Sambi persiste à vouloir être candidat, c’est une question qui finira tôt ou tard par être soumise à la Cour Constitutionnelle, seule garante de la constitution.

Deux positions sont possibles : la première, qui est la mienne, est de dire qu’il ne faut pas définir un Comorien par son origine, car ce serait entériner les identités infra-étatiques et le séparatisme. Mais il y a aussi l’autre point de vue : Sambi ne correspond pas du tout au sens socio-culturel de ce que ce qu’est un Mgazidja. C’est une interprétation possible. (…)

 

IMC: La tournante a accentué le «yatru». Je tiens à vous rappeler, qu’il y avait un parti dont les principaux leaders étaient Bolero et Mchangama. Ils avaient fait un projet de constitution, dans lequel figurait un projet relatif au citoyen de l’île. Ce projet a été rejeté. (…).

Concernant Sambi, sa candidature ne nous concerne pas, ce sera à la Cour constitutionnelle de trancher. Les débats qui nous concernent sont ceux relatifs aux programmes des candidats.

 

HSA : Je vais dans le sens de ce que vient de dire Idriss. Mais nous ne pouvons pas non plus nous empêcher de commenter ou de prendre part au débat. Je vais faire un petit rappel concernant la loi elle-même. Pourquoi avons nous mis en place la tournante? Nous devons remonter à l’origine de la constitution de 2002. 

Je pense que ce sont les conseillers de Sambi qui l’ont mis dans ce guêpier. La révision de 2009 a tout changé. Dans l’interview de Bolero [actuellement directeur du cabinet de la présidence de la République] qui date d’avant 2009, il avait dit que tout Comorien pouvait être candidat, quel que soit l’endroit où se déroulent les primaires.

Je l’ai montré concernant les vice-présidents, Aicham a dit qu’aucune loi ne l’avait spécifié. C’est faux. Pour la loi relative à l’élection des gouverneurs, nous n’aurions pas pu définir qui pouvait être candidat, sans au préalable avoir défini les critères. Il y a donc des éléments qui définissent qui est un Mgazidja. Cela veut tout simplement dire que tu ne peux pas être gouverneur à Ndzuwani hier, et briguer par la suite la magistrature d’une autre île…

 

AI : … Et c’est quelle loi?...

 

HSA : … Regardez dans la loi électorale, vous trouverez que celui qui brigue le gouvernorat de Ngazidja, par exemple, a ses propres critères. Il doit avoir un père grand-comorien, par exemple…

 

AI : … Cette loi avait été proposée, mais a été rejetée.

 

HSA : Je veux juste expliquer que pour être gouverneur, il y a des critères définis. Le code électoral est formel. Pour ce qui est de la deuxième interprétation, elle concerne la coutume. La tournante a commencé avec Ngazidja, ensuite Ndzuwani, enfin Mwali, elle ira peut-être à Mayotte. Donc la tournante elle-même, depuis sa création, a eu à respecter cette coutume. La coutume a force de loi. Pour ce qui est des origines, nous ne pouvons créer des lois qui ne tiennent pas compte de nos spécificités. Nous avons donc deux choix : prendre les réalités sociales et les adapter à la constitution ou carrément changer notre culture. Je pense que nous devons faire un choix. (…).

 

YMI : Personnellement, quand j’ai entendu que Sambi voulait se porter candidat, j’ai pensé que c’était une blague. Jamais je n’aurais pensé qu’il était sérieux. La tournante a commencé avec Ngazidja, puis Ndzuani, et voilà que la personne qui représentait cette dernière île au niveau de l’Union veut venir ici pour dire qu’il est… Grand-comorien.

Deuxième chose, c’est la présidence qui est tournante, mais pas le président. Un président qui était candidat et s’est fait élire à Ndzuani ne peut venir faire la même chose à Ngazidja. Donc si demain, le tour revient à Mayotte, il s’y représentera à nouveau ? On est où là ? Nous devons être objectifs.

Et puis pour revenir sur l’esprit, il faut se dire que c’est la première fois que Mwali est aux commandes en quarante ans d’indépendance. Je suis convaincu que ce n’est pas parce que  nous avons un président grand-comorien que Ngazidja se portera mieux. Il nous faut miser sur le candidat qui présente le programme le plus convainquant.

 

IMC: Je voulais intervenir au sujet de Mayotte. C’est comme si nous avons définitivement écarté l’idée selon laquelle la tournante n’ira pas à Mayotte. Je n’ai trouvé nulle trace dans la constitution, qui s’oppose à la tournante mahoraise. Il est dit que si Mayotte revient, nous organiserons marengwe yaki isiwa au bout de six mois et les marengwe yaki daula au bout d’un an.

Ce qui me chagrine, c’est qu’entre 2001 et aujourd’hui, la question de Mayotte a régressé.  Mayotte est aujourd’hui un département et le gouvernement parle de moins en moins de la question. Aujourd’hui, même ceux qui meurent en tentant de joindre Mayotte sont passés sous silence. Je pense que la tournante nous a fait faire un bond en arrière. Pourtant, je ne pense pas qu’il faille tourner la page de la tournante, parce que quelque chose de grave se produira, mais nous devons avoir le courage de dire que la façon dont elle a été menée ne nous a pas été bénéfique. (…)

 

AI : Il faut apprécier la candidature de Sambi en tant que phénomène. Est-ce qu’un Anjouanais, tel qu’on le conçoit sociologiquement, peut se représenter à Ngazidja? La question posée de la sorte est beaucoup plus intéressante…

 

IMC : … c’est un débat pour juristes…

 

AI: … Même pas. Je pense que c’est un débat de société.  Est-ce que la tournante exclue de facto certains d’entre nous, c’est la véritable question. D’un point de vue légal, je dis que la loi à laquelle Hamidou faisait allusion est un projet de loi fondamentale repris à Ndzuani et à Ngazidja, mais qui a été rejeté. La coutume peut être un argument. Cela fait trois mandats que ce sont les originaires de l’île qui organisent les primaires, bien que le système romano-germanique ne soit pas basé sur des traditions constitutionnelles coutumières. Ce sont plutôt les Anglo-saxons qui fonctionnent comme cela, mais, dans le système français proche du nôtre, cela n’existe pas. En revanche, la cour constitutionnelle peut consacrer la tradition, c’est à elle que revient cette charge. (…).

 

HSA : En France, dès lors que l’on s’intègre, qu’on investit là-bas on est Français. Pourquoi un Grand-comorien qui a vécu à Ndzuwani ou à Mwali ne serait pas de là-bas? Ca devrait être notre objectif, car je suis persuadé que si l’esprit de 2001 avait été respecté à la lettre, nous serions aujourd’hui «guéris» de ce problème». Le problème qui se pose, c’est que cet esprit-là n’a pas été respecté. Aucun Anjouanais ne s’est pas représenté en 2002, par exemple.

 

Al-watwan : La tournante favorise-t-elle le népotisme, le chauvinisme?

 

IMC : Je voulais intervenir sur ce point précis pour reprendre M. le ministre. Selon lui, la tournante a été spécifiquement conçue pour des raisons politiques seulement. Il dit même que depuis que nous sommes là, nous ne parlons que de politique. J’ai même envie de lui dire que cela fait une heure que nous parlons de Sambi alors que cela n’a aucun réel intérêt. Ce sont juste des péripéties liées à la façon dont le débat évolue.

Cela étant, on ne peut pas dissocier la politique de la vie quotidienne. Le problème du séparatisme anjouanais est avant tout un problème d’ordre socio-économique. Mayotte est partie pour les mêmes raisons. Ndzuani a voulu prendre la même direction à cause des mêmes problèmes. Donc, le problème fondamental, c’est la vie quotidienne. Je pense même que la  tournante telle qu’elle est conçue aujourd’hui a accentué les détournements des deniers publics, la corruption, en mettant l’accent sur le «yinu nde yatru».

 

YMI : Je n’exclue pas que la Constitution ait été conçue pour résoudre les problèmes socio-économiques, mais il y avait aussi l’idée selon laquelle chaque île devait s’atteler à aller de l’avant. (…). Nous avions deux vice-présidents, cela été mentionné au début de ce débat. En 2009, le gouvernement de l’époque a voulu harmoniser les votes afin de diminuer les dépenses. Au contraire au lieu de mettre à exécution cette  bonne intention, il a choisi d’ajouter un autre vice-président. (…).

Concernant la tournante, quels problèmes aurions-nous si nous décidions de voter pour un Anjouanais qui a présenté un programme intéressant? Aucun et le «yatru» n’est aucunement imposé par la tournante, mais c’est une mentalité. Ce qu’il nous reste à faire, c’est de mettre en place au niveau de la loi des dispositifs qui permettraient la lutte contre ce phénomène de «yatru». (…).

 

AI : Personnellement, je ne suis pas contre la tournante et puis de toute façon, nous en avons besoin, mais je suis contre la tournante telle qu’on la vit aujourd’hui. Je pense qu’elle n’est pas adaptée. Pour moi, il faudrait purement et simplement supprimer les primaires. Avant, il y avait des partis politiques présents sur tout le territoire national, ces partis-là n’existent plus du fait des primaires. (…). Et puis il y a un problème de démocratie : je ne comprends pas pourquoi douze mille électeurs à Mwali doivent décider du destin des huit cent mille habitants comoriens. Je ne vais pas revenir sur la question de l’origine insulaire. (…) Le choix doit être fait par l’ensemble de la population.  Le président se sentira alors redevable envers l’entièreté de la Nation, non pas d’une partie. (…).

 

HSA : (…) Cela rentre dans le cadre de la réforme constitutionnelle à laquelle il nous faut penser dès maintenant puisqu’on parle d’assises nationales. Je tiens juste à préciser qu’en 2001, nous avions le choix entre l’unité nationale et la démocratie. 

Pour rappel, le président Ikililou n’était pas en première position lors des dernières primaires, ce qui est contre l’esprit de la tournante. Le choix de la majorité des Mohéliens n’était pas Ikililou. Il est passé parce qu’il avait une stature nationale  […].

Pour les réformes, si on veut effacer l’esprit du «yatru», il faudrait que les vice-présidents représentent leur île, cela aurait comme conséquence la disparition des postes de gouverneurs, étant entendu qu’ils auraient les mêmes compétences.(…).

 

Al-watwan : L’autonomie insulaire favorise-t-elle le développement ou faut-il que nous revenions à un Etat centralisé ou les dépenses seront plus maitrisées ?

 

AI : Contrairement à mon ami Hamidou, je suis contre le fédéralisme. Je trouve que c’est un outil très sécessionniste, je suis plutôt pour la décentralisation. Je pense qu’au contraire, les vice-présidents devraient disparaître pour n’avoir que des gouverneurs et des maires, etc. puisque cela colle au fonctionnement de notre société.

Je ne suis pas pour un Etat unitaire, parce que nous risquerions de retourner aux crises que nous avions connues. La décentralisation politique, fiscale est la voie à suivre. Il faut quitter le système fédéral pour aller vers un système unitaire décentralisé. Ce qui répondra à la question de la cohésion sociale et à celle de l’unité nationale, mais aussi à l’harmonisation du développement entre les îles.

 

IMC: Je pense que ce qui nous tient à coeur est le pays, c’est-à-dire la vie des citoyens. Il faut créer les conditions pour que les gens puissent y vivre.

Je pense que si nous allons aux élections avant que l’on ne se pose les questions primordiales, c’est du suicide collectif. Parce que cela voudra dire que nous prendrons encore quinze ans, parce que si nous commençons, nous ne pourrions pas stopper en plein milieu. En tout cas, ce sera très compliqué de le faire. Il va falloir changer avant de commencer.

Tout le monde est conscient qu’il n’y a pas moyen de tourner le dos à la tournante, mais il faudrait qu’elle soit améliorée. Tout le monde veut que les élections se tiennent, mais elles doivent être faites avec des programmes. L’appel de Ali Bazi Selim (Lire les précédentes livraisons de votre quotidien) appelle à un nouveau type de citoyen, une autre forme de gouvernance.

 

HSA : Il est vrai que je suis un défenseur du fédéralisme, mais avec une structure adaptée à nos spécificités. Nous ne pouvons pas transplanter ici le fédéralisme américain ou allemand. En 2009, il y a eu un référendum pour changer certains points dont les appellations. Alors que le problème ne résidait pas dans ces appellations. Si on m’appelle président ou directeur, sans vouloir tenir compte des compétences qui sont les miennes, c’est problématique. (…).

 

YMI : Nous devons penser aux assises sans passion. Il faudrait que les citoyens s’engagent à rédiger des recommandations qu’ils remettront ensuite aux gouvernants.

 

IMC: Il ne faut pas oublier la France…

 

YMI : Nous avons les versets contre elle. Il faudrait aussi, concernant les candidats, que ces derniers aient un niveau d’instruction certain. Il faudrait arrêter avec les candidats de niveau CE1. Les Comoriens paient beaucoup d’argent pour éduquer leurs enfants, pour qu’on accepte que quelqu’un qui a échoué vienne présider aux destinées du pays.

(…) Nous devons stopper tout cela et pour cela, il nous faudrait l’appui de nos législateurs. Il faut qu’ils comprennent que ce n’est pas anti-démocratique, et qu’ils comprennent aussi que nous avons des cocotiers qui ont quarante ans, faut-il pour autant qu’ils soient candidats?

 

Propos recueillis par Saminya Bounou et Faïza Soulé