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Débat. Peine de mort : Faut-il l’abolir ou non?

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DEBAT. Une proposition d’abolition de la peine de mort a été soumis aux élus de la dernière législature. Depuis vingt ans aucune exécution de cette peine n’a été appliquée alors que sept personnes attendent dans le couloir de la mort. Qu’en pensent les Comoriens, qu’en est-il de la religion musulmane. Autant de questions (et d’autres encore) auxquelles cette longue interview croisée entre Djaffar Ahmed (D.A.) et Mourad Saïd Ibrahim (M.S.I.) tente de répondre.

 

Al-watwan: Faut-il abolir la peine de mort dans le code pénal comorien? Pourquoi?

Djaffar Ahmed : Le ministère de la Justice a entamé la modernisation de plusieurs textes longtemps désuets et anachroniques. Notre dernier code pénal datait de 1982, il était donc très ancien. Ce texte nécessitait  un toilettage.

C’est ainsi que nous avons proposé l’abolition de la peine de mort dans le dernier projet soumis aux élus de la dernière législature. Nous ne pouvons pas avoir des outils modernes de droit et rester avec des peines qui sont aujourd’hui contraires aux exigences internationales, mais surtout incohérentes par rapport à l’Etat moderne auquel nous aspirons tous. La peine de mort est le meurtre légalisé.

Mourad S. Ibrahim : C’est aux Comoriens dans leur ensemble de décider. Je pense que le cadre réglementaire qui régit le fonctionnement (réglementation et loi) doit refléter la sociologie et la réalité du pays. Nous sommes liés à une histoire et à une religion, l’islam, le socle de la sociologie comorienne. Effectivement, dans notre religion et même d’autres religions, la peine de mort est envisagée comme sanction suprême.

La France a aboli la peine de mort en 1981. Mais aujourd’hui, des grandes démocraties de référence comme les Etats unis d’Amérique ou l’Inde prévoient la peine de mort dans leurs dispositifs légaux. Dans l’absolu, pourquoi pas, en tout cas, je pense que ce n’est pas encore le moment. Aborder la question de son abolition est prématuré.

J’estime que son abolition doit aller de pair avec une évolution des mentalités et des changements de comportement. Il y a d’autres priorités, d’autres questions qui nécessitent l’attention de tous ; je ne suis pas sûr qu’en abolissant la peine de mort, la vie des Comoriens va s’améliorer. Est-ce que l’abolition de la peine de mort ne risquerait pas d’être vue, aux yeux des Comoriens, comme un moyen de consacrer l’impunité absolue et d’inciter facilement au meurtre en banalisant la vie humaine et éventuellement pousser les gens à se rendre justice comme le cas récemment à Anjouan. C’est une question qu’il ne faut surtout pas négliger.

D’un autre côté, il est évident que son maintien ne va certainement pas résoudre le problème des meurtres. Cependant, elle reste dissuasive. Prenons le cas de la corruption et des détournements des fonds, pourquoi y a-t-il une recrudescence dans ce domaine, n’est-ce pas parce qu’on a le sentiment de pouvoir échapper à la justice ?  

 

Al-watwan: La peine de mort est-elle compatible avec l’islam?

D.A : l’islam est la religion de la tolérance du repenti et  du pardon. Le respect de la vie humaine est l’un des fondements essentiels  de l’islam. Ainsi le prophète a dit : «Efforcez-vous d’être clément les uns envers les autres dans l’application des châtiments coraniques». Il est également recommandé d’éviter en cas de doute d’appliquer la peine capitale.

Les jurisconsultes musulmans ont toujours tendance à évoquer l’application de la sanction et oublient les réparations civiles, à savoir la compensation pécuniaire ou encore le pardon pur et simple comme mentionné dans le Coran. Plusieurs pays musulmans ont aboli la peine de mort, tels que la Tunisie, le Maroc et dernièrement l’Algérie. D’autres pays musulmans appliquent la peine de mort pour maintenir leurs pouvoirs fondamentalistes et dictatoriaux et empêcher tout processus démocratique.

M.S.I. : Elle est prévue dans le Coran. Mais, il faut aussi tenir compte que le même Coran exige de mener correctement une enquête approfondie et s’entourer du maximum de garanties pour justement éviter que des personnes accusées de meurtre ne soient injustement condamnées et effectivement exécutées. Car, en vérité, l’islam a horreur de l’injustice. Si par définition la justice est juste, encore faut-il qu’elle mette de la vérité dans ses actes.

 

Al-watwan: Pourquoi n’applique pas-t-on la peine de mort depuis plusieurs années alors qu’elle est prévue par le code pénal?

D.A. : Les  dernières exécutions aux Comores remontent à 1996, il ya presque vingt ans. Lorsque le débat fut posé devant l’Assemblée nationale, j’ai entendu des bouches des nos meilleurs érudits en islam  dire : «Nous ne voulons pas de son application, mais par principe religieux, islamique, il faut qu’elle soit maintenue». Comme si l’islam ne se résumait qu’à la peine de mort. Socialement et culturellement, les Comoriens rebutent la peine de mort, ils réclament  une justice claire équitable, et jamais la peine capitale.

Actuellement, sept personnes attendent dans le couloir de la mort depuis bientôt vingt ans. Cette longueur excessive démontre que les magistrats ne sont favorables à l’application de cette peine. D’ailleurs, dans le dernier atelier portant sur la reforme du code pénal, les participants ont proposé la suppression de la peine de mort et privilégié la condamnation à perpétuité.

M.S.I. : A mon avis, c’est une très bonne question qu’il faut poser au chef de l’Etat actuel et à ses prédécesseurs. Certainement que les condamnés à mort ont dû introduire une demande de grâce présidentielle et celle-ci sursoit à l’exécution de la peine.

A mon avis, pour résoudre ce problème d’exécution de la peine capitale, il faudrait supprimer cette procédure de demande de grâce présidentielle. La grâce devrait être introduite auprès de la famille de la victime afin de leur laisser la latitude de pardonner ou non, moyennant une réparation civile réelle. Pourquoi demander la grâce au président alors que ce n’est pas lui qui a perdu un des siens et qui ne va certainement pas souffrir des conséquences morales, matérielles et affectives de cette perte de vie. Pour moi, c’est une aberration.

Il y a un réel problème à propos  de  l’exécution des décisions de justice en général, et pas seulement sur celle de la peine de mort. Cet état de fait discrédite la justice, l’Etat et même l’autorité de l’Etat. J’imagine aussi que des Ong et certains Etats exercent une pression sur nos autorités.

 

Al-watwan: Pourquoi ne remplace-t-on pas la peine de mort à la prison à vie, est-ce seulement pour des raisons économiques ?

D.A. : Aujourd’hui l’abolition de la peine de mort est une cause hautement symbolique qui rappelle l’universalité des droits de l’homme. La prise de conscience mondiale en faveur de l’abolition progresse sur tout le pays et les continents indépendamment du type de régime politique, du niveau de développement ou de l’héritage religieux ou culturel.

Le nouveau code pénal a été adopté malgré quelques problèmes techniques de mise en application. La peine de mort ne s’applique actuellement que sur les crimes de sang. C’est une victoire pour nous qui combattons cette peine d’arrière-garde.

Les Comores contrairement à d’autres pays, ne souffrent pas d’un problème de délinquance récurrente. Cette dynamique abolitionniste constatée nous donne l’espoir qu’un jour, cette sanction pourrait être remplacée par la prison à vie. Son maintien ne constitue donc pas un outil efficace pour lutter contre la délinquance.

M.S.I. : Dieu seul a le droit d’ôter la vie à une  personne. A mon avis, la prison à vie n’a pas sa place en cas d’assassinat.  Dans tous les cas, toute réforme éventuelle doit au préalable faire l’objet d’un débat au niveau national et ne pas résulter d’une décision unilatérale. Les choix faits en la matière doivent être acceptés et assumés par les citoyens.

 

 

Propos recueillis par Mariata Moussa