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Télécommunications : Seconde licence : pour quelles priorités nationales?

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Dans le cadre d’un appel d’offres international, l’Autorité nationale de régulation des Tic a, le 1er octobre 2015, attribué “provisoirement” la seconde licence d’établissement et d’exploitation d’un réseau de télécommunications au consortium Telma Mobile - Sofima – Njj Capital. Bien que Mauritius Telecom présentait une offre techniquement meilleure, cette décision reste parfaitement conforme aux critères d’évaluation fixés par l’Anrtic qui semblent orienter vers des choix plus mercantiles que dictés par une stratégie nationale axée sur le transfert de savoir-faire, la formation, l’innovation, et une démocratisation réelle d’internet aux Comores. En effet, chaque candidat devait recueillir un minimum de soixante points sur cent pour être qualifié et “l’adjudicataire de la licence serait le soumissionnaire qualifié offrant la contrepartie financière la plus élevée”. Les près de 4 milliards de francs comoriens présentés par Mauritius Telecom ne faisaient donc pas le poids devant les plus de 7 milliards offerts par Telma Mobile-Sofima-Njj Capital. Avant d’analyser ces orientations, et de proposer quelques pistes vers une stratégie alternative pour d’éventuels appels d’offres ultérieurs, nous allons revenir sur la situation actuelle des Comores en matière d’innovation, de formation, d’emplois, et de savoir-faire dans le secteur des télécommunications.

 

Que peut-on retenir de l’état actuel du secteur des télécommunications?

Ce secteur repose essentiellement sur Comores Télécoms, une société d’État, probablement la plus rentable et la plus prestigieuse aux Comores.

Sur la forme, l’internaute curieux, ou le potentiel visiteur étranger qui veut estimer ses dépenses locales en matière de communications pendant son séjour, remarquera qu’au moins trois quarts des rubriques du site officiel de la seule société de télécoms du pays ne fonctionnent pas. Les dernières données quantitatives accessibles sur le site datent de 2009 et le chiffre d’affaires reste coincé en 2007.

Sur le fond, Comores Télécoms offre des services divers en téléphonie mobile et internet avec une politique d’écrémage étonnamment prétentieuse compte tenue de la qualité du service et du niveau de vie modeste du consommateur comorien.

La téléphonie mobile touche près de 45% du marché potentiel. Avec plus de 250 euros par mois et 60 euros de frais d’installation, on peut s’offrir le luxe d’une connexion internet via ADSL d’un débit maximal de 4Mbit/s. Comores Télécoms a conçu aussi pour les particuliers fortunés et professionnels une Liaison Spécialisée (par fibre optique) d’un débit maximal de 10Mbit/s et à hauteur de 1200 euros par mois et un peu plus de 200 en frais d’installation.

Son offre internet qui connaît le plus de succès, et probablement le plus accessible aux différentes catégories de la population, est la clé 3G Mpessi donnant droit, pour près de 50 euros, à 9 Go en transfert de données à consommer pendant cent vingt jours. Lancée en 2010, cette offre connait aujourd’hui un taux de pénétration de moins de 2%.

La compagnie ne semble pas déterminée à exploiter ni à valoriser les compétences techniques locales en formant une équipe Recherche&Développement capable de concevoir des services innovants, plus accessibles au consommateur moyen, et qui contribuent à la démocratisation et au développement des Tic dans le pays.

Nous remarquons, par exemple, que Mpessi est une technologie entièrement importée, configurée uniquement pour les systèmes Windows et Mac, dont le code source échappe complètement aux différents services techniques et informatiques de la société qui se contente seulement de la commercialiser. Le développeur ou scientifique qui ne travaille que sur des distributions Linux aurait donc beaucoup de mal à se connecter à internet via Mpessi et l’assistance technique de CT ne lui apporterait pas plus d’aide.

En outre, des pannes de connexion internet, pouvant durer plusieurs jours, sont régulièrement constatées et 50% des appels à partir ou vers de postes fixes ne sont pas acheminés.

Son effectif de plus de 1200 salariés, largement supérieur aux besoins réels en ressources humaines estimés à près de 500 par le groupe de consulting québécois SG Group dans  son audit réalisé en 2012, inclinerait à penser à une contribution considérable de la compagnie dans le marché de l’emploi. Cependant, comme il a été constaté dans le rapport du SG Group, les ingérences politiques imposent un processus de recrutement totalement contraire aux termes des statuts de la société, mettant le relationnel bien au-dessus des compétences et des besoins réels en ressources humaines.

Le même rapport a, par ailleurs, noté une politique de promotion très opaque, parfois subies par l’hiérarchie et/ou différentes équipes au sein de la boite. Des talents y sont sous-exploités ou, sans être licenciés, sont démis de leurs responsabilités pour des raisons non-professionnelles. Il n’existe pas, à notre connaissance, d’appui de Comores Télécoms à la formation dans le secteur des télécommunications et des nouvelles technologies. Ses techniciens, ingénieurs, et autres cadres ont été formés dans différents pays d’Afrique ou en France sous des financements exclusivement familiaux. Il n’y a, à ce jour, aucune volonté ressentie chez Comores Télécoms d’établir un lien (dans la formation, l’embauche, la recherche, etc.) avec l’Université des Comores qui pourrait pourtant lui servir comme levier de l’innovation aussi bien commerciale que technologique (en concevant et finançant des projets de Masters spécialisés et orientés à ses propres besoins, des bourses de thèses doctorales, ou en collaborant sur des projets qui les dépassent plutôt que de perpétuer la culture de l’importation de compétences qui pourraient se trouver sur place). Des projets de tutorats à distance et de suivis pour les étudiants de la Faculté des Sciences, sous l’initiative d’enseignants-chercheurs comoriens travaillant à l’étranger, sont malheureusement tombés à l’eau lorsque la société CT a décidé en 2013 de bloquer toutes les communications sous VoIP (Skype, Viber, ...) sur tout le territoire national pour sauver la téléphonie.

 

Gain ou performance?

Dans le but d’améliorer et de libéraliser le secteur des Tic, le gouvernement comorien a fait adopter en 2008 une loi parlementaire qui créait l’Anrtic et traçait la voie à la concurrence dans le marché des télécommunications. C’est dans cette perspective-là qu’inspirée par une loi du 17 mars 2014 relative aux communications électroniques, l’Anrtic lançait courant 2015 un appel d’offres international pour une seconde licence d’établissement d’une société de télécommunications.

Outre la constitution d’un dossier technique faisant état de son expérience dans le domaine des communications ainsi que ses capacités commerciales et financières, chaque société candidate devait faire une offre financière en contrepartie de la licence.

Des trois offres reçues par l’Anrtic, deux, à savoir celles de Mauritius Telecom et de Telma à travers le consortium Telma Mobile-Sofima-Njj Capital, ont été jugées satisfaisantes. Mauritius Telecom, premier opérateur de l’île Maurice dont Orange détient 40% des actions, l’un des premiers au monde à proposer la Télévision sur Ip (Iptv), a acquis 1,3 millions de clients et réalisé un chiffre d’affaires de près de 232 millions d’euros en 2014. Il est aussi présent à Madagascar (à travers Orange Madagascar) et détient 90% d’actions chez Vanuatu Telecom.

De son côté, le premier opérateur malgache Telma Mobile  a réalisé un chiffre d’affaire de près de 85 millions d’euros en 2014 avec 2 millions d’abonnés. L’évaluation des deux offres fait état d’un niveau d’expérience et capacités techniques et commerciales bien meilleures chez MT que chez Telma (compétence, investissements, expérience dans d’autres pays, ...). Si Telma propose une stratégie légèrement meilleure, nous constatons que l’offre de MT était plus ambitieuse dans les services de base en visant des taux de pénétration mobile et internet haut débit nettement plus élevé (voir figures).

Par ailleurs, MT prévoyait cent emplois locaux directs au démarrage (contre qutre vingt dix pour Telma), un développement de l’emploi à moyen terme notamment avec la création d’un call center, et un transfert de savoir faire. MT proposait quize expatriés dans sa direction, et 1/3 des postes de Telma seront occupés par des nationaux. Ces différences quantitatives et qualitatives ont été validées par une note de 86/100 pour MT contre 82/100 pour Telma. Chacune des deux offres ayant recueilli plus de soixante points, les ~14 millions d’euros offerts par Telma, et qui seront versés à l’État, ont soufflé le dernier mot.   

 

Quelles stratégies  adopter ?

Nous pensons qu’une stratégie nationale des télécommunications qui privilégierait la technique, la contribution directe à la formation et l’innovation, la popularisation des Tic, l’emploi, et le transfert de savoir-faire, au gain économique immédiat nous serait plus porteuse dans le long terme.  Aussi, aimerions-nous soumettre quelques propositions à l’Anrtic :

- Concevoir des dispositions qui favorisent une contribution active des opérateurs dans la formation des professionnels des Tic et un appui constant à l’Udc.

- Accélérer le processus d’ouverture du capital de CT, seul moyen de réduire sa politisation et professionnaliser ses recrutements et ainsi lui éviter l’écrasement progressif par le  nouvel opérateur.

- Privilégier l’apport en emplois aux nationaux et en visions à la fois quantitatives et qualitatives dans l’octroi des licences.

 

Par Elkaïoum M. Moutuou*

Maître de conférences en mathématiques,

 

Université de Southampton, Royaume-Uni