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Elections : Entre les mots et les maux ou l’impérative quête de voies au service des sans-voix

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De part mes fonctions de diplomate, j’ai opté pour un relatif silence, pour escompter des résultats dans les responsabilités ainsi confiées. Mais, à titre de citoyen et dans les limites d’une réserve qui ne saurait se confiner à la passivité devant les enjeux internes qui conditionnent ceux de l’action diplomatique, je voudrais apporter ma petite contribution à la réflexion d’ensemble sur l’état du pays et la voie à suivre, à l’approche d’échéances électorales décisives.

 

De prime abord, il est temps pour chaque candidat de définir les modalités d’application de la loi portant sur les partis politiques devant concourir à l’expression démocratique, pour en finir avec les groupements d’influence qui pratiquent la démultiplication du nombre par les subdivisions des membres et polluent le champ politique par la dispersion des forces sans que nul ne s’y retrouve en termes d’orientations et de lignes politiques différenciées.

Bon nombre de ces “leaders” pourraient pourtant se constituer en véritables experts en lobbying, activistes éveilleurs de consciences ou Ong mobilisateurs de fonds et de ressources humaines pour un changement efficient, répondant aux aspirations sociales. Que dire aussi sur le fait que tout bien-pensant s’érige en “constitutionnaliste” voire en “juge constitutionnel”, oubliant que le pays s’est déjà doté de tous les outils susceptibles d’adapter, préciser et affiner la loi fondamentale et sa pratique, en cas de besoin. A la condition expresse de toujours lui conférer la durée historique nécessaire a la gouvernance d’une Nation en construction qui n’est pas celle d’une personne ou d’une campagne, fut elle napoléonienne.

 

Le seul questionnement urgent*

 

Dans un ouvrage publié en pleine crise séparatiste, je m’étais prononcé contre l’idée  d’une “présidence tournante “ alors en gestation. Aujourd’hui, on voudrait accuser un texte de tous les maux, pour ne pas examiner nos propres pratiques des institutions ainsi que nos mentalités, comme si après avoir changé cinq fois de constitution depuis l’indépendance, nos habitudes de pensées et de comportements se seraient améliorées d’un iota.

Le contexte séparatiste ayant présidé à l’adoption de la dernière (déjà révisée en 2009) a t-il réellement laissé la place à une vision plus harmonieuse de l’unité et de la solidarité nationales? Devons-nous prendre un nouveau risque d’ouvrir la boite à pandore et recevoir la morsure empoisonnée d’un mille pattes, pour ne pas dire d’un hydre à mille têtes? Par la suite, on pourrait toujours actionner le robinet des larmes en clamant “Ndizo Mgu ya ndzao” et il a bon dos ce dieu qui n’aurait ainsi d’autre volonté que devant les catastrophes et la mort!  Pourvu qu’IL veuille bien nous pardonner nos offenses répétées, ameen.

Encore que sur un plan plus trivial, il est permis de douter que nos partenaires au développement qui financent aussi une bonne part de l’organisation des prochains scrutins harmonisés soient toujours disposés à nous accompagner sans exigences notamment de temps et de gestion des ressources allouées pour un tel processus.

En vérité, le seul questionnement urgent en la matière concerne Mayotte et, si un congrès devrait s’imposer pour toiletter la loi fondamentale actuelle, il devrait prioritairement permettre de doter l’Etat des outils susceptibles d’insuffler aux gouvernants, aux élus et formations politiques des obligations pour consolider l’unité nationale et l’intégrité territoriale, à travers de signaux forts en direction de l’île soeur, après quarante ans! 

 

Le pêcheur et sa paysanne

 

Ayant déjà vu les deux parties partagées d’un même discours aux Nations unies, être présentées successivement par les deux chefs d’un même exécutif debout tous les deux sur la même tribune, s’exprimant au nom du même micro-Etat qui fonctionne ainsi, dans la stabilité, depuis le dix-septième siècle(!), je ne peux que m’interroger sur notre incapacité à projeter ce que l’on peut initier sans forcement être présent au moment des résultats. Pourtant, dans la dialectique du quotidien et de l’investissement, si le pêcheur ne saurait revenir à la chaumière sans du poisson, il sait que sa paysanne (ou son cultivateur de beau frère) sème les graines sans savoir qui va récolter les fruits, espérant seulement que la progéniture fera et vivra mieux....

Au bout du compte, à propos des élections et de “la tournante”, avec moins d’un million d’habitants sur un territoire exigu, on s’achemine vers le double des candidatures d’une présidentielle hexagonale ayant 60 millions d’âmes aux origines diverses à gérer, d’une part. D’autre part, on voudrait modifier les règles à la veille de la compétition, sans savoir que pour notre ngoma nyombe national, à Ngazidja on “chevauche” le zébu à l’instar de la tradition malgache, alors qu’à Ndzuani, on le dribble comme dans l’arène de type ibérique mais, sans autre arme que l’agitation d’un fichu rougeâtre, tandis qu’à Mwali, on danse en file indienne et en costard jusqu’à épuisement du boeuf par énervement, avant de le lâcher et lui courir derrière.

 

“Nami pvangu”

 

Pour édifier un Etat sur des bases solides, attention donc aux lunettes déformatrices qui font croire que le sambe est une danse nationale, alors que c’est plutôt le shigoma avec ses variantes et que nous n’avons même pas encore pu créer une troupe folklorique, un orchestre ou même une troupe théâtrale à vocation nationale. Nous n’arrivons point encore à affecter enseignants et militaires hors de l’île d’origine (voire de la région). Ce qui a permis, (sous d’autres cieux et à titre de contre-exemple) de faire en sorte que le brassage social se fasse plus aisément et que la citoyenneté soit celle du lieu de résidence et non de naissance.

Or, manifestement et à contrario, la danse du “nami pvangu” tend à transformer un moment politique qui devrait être celui de “la rencontre du destin d’un homme avec celui d’un peuple” en une sorte de compétition cantonale de naines ambitions et de “nationalisme de cité”, comptant sur l’applaudimètre démographique des co-villageois du candidat et de ses compères dont nul n’arrive à définir des critères sélectifs, en termes de compatibilité d’idées programmatiques entre eux.

Les élections vont elles se réduire à une bataille de chefaillons chargés de redistribuer fauteuils et prébendes à quelques bataillons claniques, avant de repasser le témoin à celui qui présidera à son tour le dépècement du mouton à trois pattes? Toujours est il que pendant que nous amusons la galerie, en s’invectivant tout en s’admirant sur un miroir brisé, au lieu de chercher les éléments de convergence sur ce qui aurait pu facilement l’être, (notamment les objectifs, les étapes et les moyens pour le vote de la diaspora), la politique de la terre brûlée et son écran de fumée se poursuivent activement autour de la quatrième patte.....

 

Sortir des jugements à l’emporte pièce

 

L’ouvrage qui vient d’être oublié sur le candidat à la candidature de la mouvance présidentielle pourrait-il relancer la confrontation des idées, à la lumière des bilans comme des fondements idéo-politiques et professionnels de la prétention légitime de chacun à se projeter sur les rennes du destin collectif? Il est à espérer qu’il devrait permettre de sortir des jugements à l’emporte pièce, pour ne pas dire des déclamations souvent injurieuses qui font peu de cas de l’exigence éthique et déontologique d’étayer des faits, au lieu de diffamer et déverser des rumeurs invérifiables et accusations invérifiées.

Ce faisant, au lieu d’idéaliser l’image sur le rétroviseur, il serait aussi souhaitable de faire enfin face aux responsabilités historiques de notre génération pour mieux concevoir les mots qui permettent de penser comment panser les maux et ainsi répondre aux questionnements existentiels des plus déshérités, devenus les plus vulnérables par le même euphémisme qui nous surnomme Pma. Mais, se refusant à une quête mieux assumée  des voies pour les sans-voix, la société comorienne est championne en matière du déni qui voudrait qu’il n’y ait jamais eu d’esclavage (le seul territoire insulaire où l’on ne célèbre guère son abolition !) et qui proclame paradoxalement une ascendance sultanesque, presque à chaque “grand(e) marie(e), tout en transformant des tribus aux légendaires guerriers en autant de noms d’oiseaux, pour ne pas dire d’infamies !

 

De la matière

 

Toujours est-il qu’ il y a bel et bien matière à alimenter des débats de fonds en puisant dans l’agenda 2030 de l’Onu pour l’éradication de la pauvreté, l’autonomisation des femmes, l’éducation des filles et contre les extrémismes. Idem pour les exigences de la fixation d’objectifs et échéances spécifiques, à l’échelle nationale, suivant la vision 2063 pour le continent africain à la fois en croissance économique et démographique constante, malgré les guerres et les catastrophes autour de ses richesses qui en profitent à autrui et à une minorité de prédateurs. Ou encore, à travers les perspectives de la transition énergétique face au changement climatique qui met les insulaires sur la ligne de front de la survie des espèces, ainsi  que les Ntic qui bousculent les schémas planétaires préconçus au profit du génie créatif.

Il en est de même, enfin, du juste rapport à établir entre la question de l’exploitation éventuelle des hydrocarbures à une période où d’une part, les pays exportateurs subissent de plein fouet la chute vertigineuse des prix et d’autre part, le monde se tourne vers les énergies propres, renouvelables et à termes moins coûteuses dont nous disposons à satiété (solaires, éoliennes, géothermiques et dans une moindre mesure hydrauliques ou de biogaz), même si les investissements de départ supposent, pour le moins, un fort appui de la coopération bi et multilatérale.

 

Assurément possible

 

Encore faudrait il que prenant en compte la bombe sociale d’une jeunesse socialement majoritaire mais sans perspectives, les prétendants osent sortir des sentiers archi-battus de la manipulation pour des clopettes ou des promesses vite oubliées, afin de redynamiser cette énergie qui cristallise la conscience nationale derrière sportifs et artistes de plus en plus talentueux et accrochés à l’hymne et au drapeau des 4 îles.

Autant dire que le chantier est vaste et qu’il suppose le leadership de groupes engagés à donner une image de gens sérieux dans le traitement des affaires publiques (ce qui manque et nuit tant à la crédibilité de l’Etat, ses administrations et démembrements, depuis au moins deux décennies). Des équipes (et non le syndrome du mongozi) exerçant une dynamique audacieuse et novatrice sur de grands rassemblements politiques aux clivages clairement identifiés et porteurs de projets alternatifs de société pour le comorien du troisième millénaire dont les traits mériteraient une redéfinition dans le cadre d’assises telles que celles initiées par le Président Macky Sall, avant de projeter une nouvelle vision de Dakar et son nouvel aéroport comme futur hub régional, ou auparavant dans le cadre du processus de “vérité-réconciliation” lequel, après le génocide, a fait du Rwanda probablement le seul pays africain à avoir atteint tous les Omd.

Et, ce sera sans doute la tâche première du prochain président qui ne devrait nullement tâtonner dans la mise en oeuvre d’une politique de réconciliation des coeurs, d’apaisement des esprits, de partage des responsabilités, non pas comme un gâteau de mariage mais, comme tuant de charges pour une gouvernance efficiente. C’est non seulement nécessaire et souhaitable mais, possible aussi et assurément.

 

 

* Les intertitres sont de Al-watwan